Joomla project supported by everest poker review.
La danse de la vie
Avec le frisson du Mai des mausolées,
Le balancement des lunes noyées,
Les tressaillements des amours inachevés
Dans le cœur de mes pauvres suicidés,
Je veux composer passionnément
Pour la divinité de ton corps qui me répugne,
Pour ta nudité sublime et lugubre
Une danse de prière et de rut.
Dans la musique de parodies d’antiques thrènes
Au rythme torturé de tes reins
Tes bras s’ouvriront comme pour étreindre
La beauté, la beauté de tout ce qu’il faut plaindre.
Crispée, tu te renverseras farouche
Comme si le crime se couchait sur toi,
Comme si un doux serpent mordait ta bouche,
Comme si tu mourais d’une atroce joie.
Avec des gestes d’épouvantail
Secoué par les grands vents pleureurs
Tu danseras pour les fiançailles
Du désespoir et de la peur.
Tes attitudes chanteront éperdument :
“Versez sur moi tous les vins et toutes les fleurs,
C’est la fête triste et joyeuse de la vie.
Que le moment qui vient soit mon amant !
Criez bien fort ; vos tombes sonnent sous mes pas.
Multipliez-moi dans le prisme de l’ivresse,
Je veux vivre de toutes vos âmes,
De tous vos nerfs, de toutes vos détresses.
Embrasez-moi de corolles singulières
Aux miroitements de nuits fabuleuses,
De jais silencieusement bleu
Et de pierres couleur de jour vu à travers les paupières.
Versez sur moi toutes les lumières,
Que je sois comme une gerbe de folie,
Tous les désirs, tous les oublis,
Toute la misère de la terre.
Hâtez-vous de m’aimer : je suis une pauvre lueur blonde,
Attisez-moi de toutes vos ailes d’amour.
Oh ! la solitude de vivre est si longue,
Le doux jour du mensonge est si court !
Je suis la musique de vos demi-sommeils,
Je suis la brume sur les villes de votre enfance ;
Oh criez, levez les coupes et criez
Pour faire peur au grand, à l’implacable silence !”
Alors tu danseras ton immobilité
Du jour où l’on t’enfermera
Dans un pauvre petit cercueil sans ornements
Ridiculement blanc,
Et ta danse sera toute de frissons,
(Goutte à goutte des pluies jaunes de l’hiver,
Moire bruissante du grouillement des vers
Sur les froides fiancées de l’abandon.)
O.V. de L. Milosz